Expérience de visite guidée :

étude de cas à Rome

La visite guidée repose sur un principe simple : faire découvrir un lieu à un public grâce à un guide qui joue le rôle de médiateur. Si ce format existe depuis longtemps, sa forme évolue aujourd’hui vers plus d’interaction et d’immersion. Qu’elles soient classiques ou insolites, urbaines ou rurales, à pied ou en véhicule, les visites guidées partagent un même enjeu : créer une expérience mémorable.

Dans cet article, nous explorerons les différents leviers à activer pour concevoir une visite guidée qui ne soit pas seulement informative, mais véritablement engageante. À travers les apports de la littérature sur l’expérience client, des outils pratiques et un exemple concret d’expérience personnelle de visite guidée à Rome, nous chercherons à comprendre comment transformer une simple visite en une moment marquante, immersif et riche de sens.

Intro : définition

Définition de la visite guidée

La visite guidée implique nécessairement trois éléments : un lieu, des visiteurs pour le découvrir et des acteurs pour le faire visiter, liens, donc médiateurs entre les deux premiers éléments. Le phénomène de médiation est au centre même de la visite guidée. Si l’histoire des visites guidée est ancienne, il semble désormais que son évolution se fasse dans la médiation employée.

Deux typologies de visites différentes

Les recherches du mémoire « Les visites guidées classiques et insolites sur le territoire parisien » différencient deux typologies de visites : la visite classique et la visite insolite. L’étude s’appuie sur l’analyse de la perception des visites guidées classiques et insolites à partir d’un panel de 100 visiteurs interrogés après leurs expériences.

La visite classique est perçue comme un moyen d’acquérir un apport culturel structuré, avec un discours érudit et un contenu historique approfondi. Elle est particulièrement choisie par ceux qui découvrent un lieu pour la première fois et recherchent des connaissances transmises de manière académique. Le guide joue un rôle central en tant qu’intermédiaire entre le site et les visiteurs, qui restent spectateurs sans réelle interaction.

À l’inverse, la visite insolite se distingue par un discours original et immersif, mettant en avant des anecdotes atypiques et des récits décalés. Les visiteurs apprécient particulièrement la mise en scène et les éléments interactifs, qui les transforment en acteurs de leur découverte. Le choix du lieu est également déterminant : il peut s’agir d’endroits méconnus, de passages privés ou encore d’espaces touristiques revisités sous un angle différent. Cette approche vise à créer une expérience engageante et hors des sentiers battus, en mettant l’accent sur des formes narratives innovantes et des formats ludiques.

A partir de ces deux définitions, nous relevons dans un premier temps que les visites classiques ont un potentiel d’expérience réduit par rapport aux visites dîtes insolites. Néanmoins dans cet article nous allons aborder le thème de la visite d’un point de vue général, bien que les exemples utilisés se rapprocheront plus de la catégorie de la visite insolite.

Les différentes typologies de tours

Dans le cadre d’une visite culturelle et touristique, il existe différentes manières de réaliser des tours en groupe, en voici une liste non exhaustive : 

  • Le tourisme culturel et patrimonial : musées, sites historiques, monuments, sites archéologiques
  • Le tourisme urbain : tours à pied (Walkings Tours) et de dégustation (Street Food)
  • Les tours véhiculés : Golf car, taxis, Segways, e-bikes, vélos, tuks-tuks, bus Hop-on Hop-off
  • Le tourisme gastronomique et vinicole : tours de dégustation, visites de producteurs, expériences interactives
  • Le tourisme nature : trekking, observation de la faune, croisières thématiques, visites géologiques
  • Le tourisme artisanal et d’entreprise : visites d’usines, visites d’ateliers, studios de cinéma

Créer une expérience réussie

Les attentes du client

Afin de créer la meilleure expérience possible, il faut dans un premier temps s’assurer que les attentes de bases soient comprises et respectées. Elles représentent les attentes fonctionnelles du service. Sans elles, la prestation ne pourrait pas avoir lieu. Dans le cadre d’un tour, voici les attentes de base :

  • La facilité de réservation
  • La sécurité
  • Le confort
  • L’accessibilité (son, espace)
  • Le discours clair
  • La ponctualité et respect du programme

Le potentiel expérientiel de la visite

Joseph Pine et Gilmore sont les précurseurs de l’expérience client, ils ont défini 4 piliers qui permettent de créer une expérience réussie. Le service doit respecter les 4 E, en étant divertissant, éducatif, esthétique et immersif (escapist).

En se basant sur cette théorie, on peut aller plus loin en faisant l’hypothèse que chaque proposition de service répond plus ou moins naturellement à ces 4 principes. Ainsi, selon ces critères, le potentiel d’expérience du service est plus ou moins élevé, en se basant sur la manière dont le service rempli ces 4 critères, mais également sur ce pourquoi les gens viennent et quelles sont leurs attentes. Par exemple, le potentiel d’expérience d’un restaurant est beaucoup plus bas que qu’une visite, car les gens viennent avant tout pour bien manger, et non pour se divertir ou apprendre quelque chose.  

Les piliers de l’expérience de visite

Selon l’article « Marketing de la visite culturelle et implication du public » il est important pour le visiteur d’avoir une dimension ludique dans son offre (entertainment). Pour cela il faut :

  • Lier la visite à un dépaysement et une simple curiosité, en se détachant d’un aspect scolaire de la visite
  • Faire du lèche vitrine en s’achetant un souvenir
  • Boire, se restaurer, se reposer
  • S’amuser

La dimension « esthetic » correspond à la beauté des éléments observés durant la visite. A ce niveau, cela dépend principalement du lieu où l’on se trouve et il est compliqué d’agir sur ce pilier.

Au niveau de l’apprentissage (educational ), selon l’article « Marketing de la visite culturelle et implication du public » voici ce qu’attendent les visiteurs :

  • La recherche d’un enrichissement personnel par l’accès à la culture (artistique, ouvrière, industrielle, agricole, scientifique)
  • Se situer par rapport à une histoire de l’humanité et de la société
  • S’identifier, se situer, s’enraciner par rapport à un patrimoine, une époque, une région.
  • La nécessité de relier les informations reçues à leur propre vie quotidienne

Si l’on se base sur ces éléments, le visiteur cherche alors à comprendre l’environnement culturelle dans lequel il se situe de manière global et historique afin de pouvoir s’y situer en le connectant avec son quotidien. Ce sont des éléments à prendre en compte avant d’élaborer son discours de visite.

Enfin, l’aspect immersif (escapist) signifie que toute l’attention du visiteur est disposée dans la visite et qu’il quitte, le temps de l’expérience, son monde ordinaire. Des éléments visuels simples tel que des photos d’époque ou des images permettent de créer cet effet. Pour aller plus loin, les recherches sur les visites insolites recommandent ces outils :

  • La manière de raconter : contes, chanson, poème, théâtre
  • La manière de présenter le contexte : déguisé, visite à thème
  • L’animation : chasse au trésor, activités du quartier, dessin, jeu de piste, photos
  • Le lieu : Toit, catacombes, passages privés, égouts, quartiers populaires, quartiers industriels
  • Le fond du discours : anecdote, histoire personnelle, histoire des habitants du quartier

Nous rajouterons à ce niveau l’importance du rythme dans la visite. Dans la manière de raconter des histoires (storytelling) le rythme repose sur la manière de parler mais également sur la structure que l’on donne au moment. Chaque variation de rythme permettra de créer une cassure dans le discours et de réalimenter la curiosité et l’attention du visiteur. Par exemple on peut :

  • Raconter des histoires ou anecdotes, en suivant un schéma personnages – intrigue – point culminant – fin et morale de l’histoire
  • Poser des questions à l’auditoire, leur donner un défi
  • Créer du mouvement, leur demander de se déplacer pour observer un élément
  • Faire une blague
  • Montrer une image pour illustrer son propos

L’importance du guide

La particularité d’une visite guidée, c’est que les différents piliers d’une bonne expérience dépendent en grande partie du guide. L’expérience se base sur les émotions vécues, or les émotions passent avant tout par les interactions que l’on vit et ont une nature « contagieuse », avoir un guide de mauvaise humeur aura plus de chance de rendre les clients de mauvaise humeur, et l’inverse. La posture du guide est donc fondamentale, il se doit d’être à la fois clair dans ses propos, professionnel et sympathique.

Au-delà de ses caractéristiques, les visiteurs peuvent aussi avoir des désirs supplémentaires, non exprimés. En effet, durant leur voyage global, cette visite représente pour le touriste l’opportunité de rencontrer un « local » et de créer du lien avec celui-ci.

Ainsi, voici les attentes qu’un voyageur pourrait avoir en échangeant avec un local :

  • Avoir des bonnes recommandations : la nourriture, les bonnes adresses, le bon horaire de visite, les coins secrets
  • Passer un bon moment, que la personne devienne un compagnon de voyage, un souvenir de vacances.
  • Créer un lien, échanger avec le guide au-delà de juste l’écouter, que le guide s’intéresse à l’histoire des visiteurs
  • Découvrir l’histoire de cette personne (expatrié, local). A travers cette histoire et ce point de vue, avoir son ressenti sur le lieu
  • Rencontrer une personne qui, dans son mode de vie, reflète le territoire

Afin d’illustrer ces attentes, voici un témoignage de Stephen, manager de la compagnie Top Bikes à Rome, proposant des visites de la ville à vélo :

“Je dirai que la principale chose que les clients recherchent c’est la proximité avec le guide, apprendre à le connaître. La beauté de la ville et des paysages est suffisante pour fournir une bonne expérience, mais s’ils t’aiment bien et qu’ils passent un vrai moment avec toi, c’est ce qui rend l’expérience inoubliable”

Etude de cas : La visite de Rome à vélo

Afin d’illustrer la théorie, nous allons nous appuyer sur l’exemple d’une expérience personnelle. J’ai en effet eu l’opportunité de prendre en charge des visites guidées de la ville de Rome à vélo.

Ces visites durent de 4 à 5h, pour des groupes de 2 à 8 personnes. Les vélos sont électriques. Chaque visite comporte une dizaine d’arrêt de 5 minutes afin d’avoir un moment d’échange et d’expliquer l’histoire d’un monument, puis il y a également une pause de 30 minutes pour se restaurer. Le tour avait lieu dans un parc archéologique au sud de la ville, la Via Appia.

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Les clients

La clientèle était principalement adulte, composé de couple ou de groupe d’amis, entre 30 et 65 ans. Les nationalités les plus rencontrées étaient les Américains du Nord (USA, Canada), les Britanniques et les Allemands. Parfois, les couples étaient accompagnés d’enfants. Ces clients étaient habitués à voyager dans les grandes villes européennes et à choisir des visites avec des guides, ils étaient également à l’aise avec le vélo et particulièrement curieux des monuments de Rome et de son histoire.

Le discours

La principale difficulté dans la présentation d’un tour à Rome, c’est la quantité d’informations qu’on a à disposition. Le challenge est alors de condenser et choisir afin de garder un discours clair.

Pour structurer mon discours, je me fixais comme objectif de faire comprendre au visiteur en quoi consistait la Rome antique d’une manière globale, cela passe alors par :

  • Les grands événements
  • Les personnages qui ont eu le plus impact
  • La vie quotidienne
  • Le fonctionnement (technologies, religion, métiers)
  • L’héritage et l’impact qu’elle a laissé

Le parcours de visite suit un ordre précis, mais les monuments sur chaque étape du parcours ne suivent pas un ordre chronologique d’ancienneté. La contrainte est alors de faire comprendre l’histoire globale tout en parlant d’époques et de situations différentes. Pour faire à cela, je posais dans un premiers temps le contexte global, afin de donner toutes les clés de compréhension. Ainsi, je racontais au premier arrêt l’histoire de Rome de sa fondation jusqu’à la chute de la République et la fondation de l’Empire. Cela permet au visiteur de comprendre et de situer dans le temps les 3 principales périodes de Rome (monarchie, république, empire) tout en laissant une pointe de mystère en n’expliquant pas directement comment se déroule Rome sous l’empire.

Afin de rentre le discours plus captivant, je m’appuyais sur un catalogue d’image de la Rome reconstituée, j’essayais de créer du mouvement, à la fois physique et visuel, enfin j’essayais de faire deviner certaines informations au public afin de les pousser à la réflexion.

Durant chaque arrêt, j’essayais donc d’aborder différents éléments qui constituent la compréhension de Rome, comme présenté précédemment. Par exemple, voici comment était structuré mon discours pendant un stop au niveau de la route antique nommée Via Appia  :

  • Explication technique de comment était construit la route = fonctionnement
  • Son utilisation, quel genre de personnes se déplaçaient avec, dont les militaires = vie quotidienne
  • Pour expliquer d’où vient le besoin de routes, je raconte une histoire : le sac de Rome de -390 par les Gaulois et comment ça déclenché le besoin de revanche des Romains = grand événements
  • Expansion romaine jusqu’aux guerres puniques, seconde histoire : Rome de Scipion vs Carthage d’Hannibal = grand événements et personnages
  • Conclusion : ainsi Rome a vaincu tous ces ennemis sur la Méditerranée et a construit ce type de route sur tout son territoire = héritage

Enfin, pour clore le tour et l’ensemble du récit, je posais une question ouverte au groupe en leur demandant quelles étaient selon eux les raisons de la chute de l’empire romain. Ainsi, cela permet de revenir sur différents sujets abordés, de voir si tout ce que j’ai expliqué a été compris, mais également de finir le tour sur une conclusion qui permet de comprendre le sujet de manière globale.

L’expérience

Ainsi, à travers la structure du discours, le but est de remplir les fonctions « escapist » et « educational » de l’expérience. De plus, la beauté du lieu permet de remplir la fonction « esthetic » et enfin le fait que l’on soit en petit groupe, que l’on prenne le temps d’échanger entre nous et de se restaurer répond à la fonction « entertainment ».

Au-delà de ce discours, il y a différents éléments qui permettent d’embellir l’expérience du visiteur. Parmi les attentes de base, nous avons parlé du besoin de sécurité, dans le cadre d’un tour à vélo, il est nettement plus important à cause de la circulation urbaine. Comme nous l’avons expliqué plus haut, la personnalité et l’attitude du guide sont des éléments capitaux. Ainsi pour ma part, j’essayais constamment d’ajouter de la valeur ajoutée au voyage des clients. Pour cela, le plus important est de cerner leurs attentes et de prendre compte du temps qu’ils ont à disposition. Ainsi on peut leur fournir délibérément la meilleure recommandation de visite ou de restaurant.

Dans cet article, nous avons développé comment une prestation de service en tour guidé pouvait évoluer en expérience. Dans l’ouvrage « The Expérience Economy » cité plus tôt, les auteurs définissent 5 niveaux d’économie : les commodités, les biens, les services, l’expérience et la transformation.

La transformation, selon ces auteurs, vise à provoquer un changement profond et durable chez le visiteur, affectant sa perception ou son comportement. Ce niveau ne se contente pas de fournir une expérience, mais cherche à modifier la manière dont le client pense ou agit. C’est un type de service qui est de plus en plus demandé, que l’on constate notamment à travers les coachs personnalisés ou bien les séjours en immersion dans un lieu (séjours d’aventure, séjours detox).

Ainsi, à travers l’explication de la Rome antique d’une manière globale, mon but était d’apporter aux visiteurs une meilleure compréhension du monde à travers l’héritage de cette civilisation mais également les raisons de sa disparition. Si le visiteur arrive à voir la ville et la société un peu différemment après cette visite, l’objectif de provoquer la transformation aura été atteint.

Références

Pierre Chazaud. Marketing de la visite culturelle et implication du public. Culture & Musées, 1997

Pauline de Reviers, Marine Rouvier. Les visites guidées classiques et insolites sur le territoire parisien, Université Panthéon Sorbonne, 2017

Jospeh Pine, James Gilmore. The experience economy, Harvard Business School, 1999