Pourboire, motivations et stratégie

Le pourboire est une somme d’argent laissée volontairement par un client en complément du prix du service. Pratique courante dans de nombreux secteurs, notamment la restauration, l’hôtellerie, le transport ou la coiffure, il revêt des significations variées selon les contextes culturels et sociaux. Tantôt perçu comme une gratification pour un service de qualité, tantôt comme une obligation implicite, il reflète des dynamiques économiques, comportementales et relationnelles complexes.

Cet article propose d’analyser le pourboire sous différents angles : ses origines et motivations, son impact sur l’expérience client, la perception qu’en ont les employés, la manière de le manager et ses nouvelles formes digitalisées. À travers cette exploration, nous verrons comment il peut être intégré à une réflexion plus large dans la stratégie de satisfaction et de valorisation du service.

 

Natures et motivations du pourboire

Différentes motivations à donner un pourboire ont été identifiées par les chercheurs. Néanmoins, au-delà de ces résultats, il est important de préciser qu’il existe des facteurs externes qui impactent également cette décision.

 

Le pourboire selon les nationalités

Sunday, une solution de paiement digital de pourboire, a effectué une étude sur les dons de pourboires en fonction du pays d’origine du client. Les nation les plus généreuses sont les USA, Israël, les Emirats Arabes Unis, le Mexique ou encore le Canada. En Europe, c’est l’Allemagne, l’Ukraine et l’Autriche qui se retrouvent en tête. A l’inverse, les pays d’Asie de l’Est tels que le Japon et la Corée du Sud sont les moins généreux.

 

Cela est explicable pour des raisons culturelles. Aux Etats-Unis par exemple, la pratique du pourboire est différente de celle de l’Europe. Le pourboire est considéré comme normal car le service n’est pas inclus dans le prix de la prestation, c’est pourquoi il est de coutume de laisser 15% de ce prix en pourboire. En Asie de l’Est, il peut être considéré comme impoli de donner un pourboire. Ainsi, on peut considérer qu’un pourboire issu d’un client européen sera un indice de satisfaction plus révélateur qu’un pourboire issu d’un client nord-américain.

 

Qualité ou reflet de la personnalité ?

Selon Sébastien Fernandez (2016) les pratiques de pourboires en restauration révèlent plusieurs dynamiques intéressantes : les serveuses reçoivent généralement plus de pourboires que leurs homologues masculins, en partie parce que les hommes se montrent plus généreux avec elles. À l’inverse, les serveurs sont souvent mieux gratifiés lorsqu’ils servent des femmes. Les jeunes bénéficient également de pourboires plus élevés par rapport aux serveurs plus âgés, et l’expérience joue en faveur des employés plus chevronnés. L’apparence physique, notamment le maquillage chez les serveuses, influence également les montants reçus. Enfin, l’origine et la couleur de peau du personnel ne semblent pas avoir d’impact notable.

 

Les différentes motivations à donner un pourboire

Ainsi, nous avons identifié deux éléments externes à la prestation de service qui seront des facteurs influents sur le don de pourboire : le pays d’origine du client et l’apparence et le sexe du personnel. Brigitte Auriacombe et Véronique Cova (2017) ont travaillé sur les différentes raisons de donner un pourboire. Leurs études ont permis d’identifier quatre motivations principales.

  • La première motivation représente la volonté de récompenser la qualité du service reçu et l’envie de dire quelque chose par le geste et non la parole, elle illustre ainsi une relation de service.
  • La seconde motivation représente le fait que le client estime que le “contrat” est dépassé, le service a une valeur supérieure à son prix, cela est construit comme une conséquence de l’écart entre le prix initial et la prestation finalement produite. Le pourboire est de nature purement monétaire et il est nécessaire, c’est une relation contractuelle.
  • La troisième motivation se caractérise par le fait de se conformer à une norme sociale et d’impressionner, mais également d’assurer une relation de pouvoir entre le donneur et le receveur, il illustre une relation sociale.
  • La quatrième motivation relève de la compassion et de la réciprocité, elle est le résultat d’une forme de fidélisation du client, c’est une relation interpersonnelle.

 

Le pourboire comme indicateur de l’expérience client

Parmi les quatre motivations identifiées, seule la première correspond à une motivation se rapportant à de la satisfaction de la part du client. Or, la satisfaction est une composante d’une autre discipline plus globale, l’expérience client. L’expérience client est un domaine qui regroupe toutes les interactions et émotions du client envers l’entreprise et son service en ayant pour objectif de renforcer la satisfaction, la fidélité et la différenciation de l’entreprise sur le marché. Un expérience client réussie est une expérience qui dépasse les attentes du client en allant au-delà de la qualité de service.

 

En suivant cette définition, la situation numéro deux représente le résultat d’une expérience client réussie, car elle représente la capacité à dépasser les attentes d’un client. La situation numéro quatre quant à elle est le résultat de la fidélisation du client, qui représente également un des indicateurs d’expérience client.

 

Ainsi, trois situations sur quatre sont des indicateurs d’expérience client. C’est pourquoi il pourrait être envisageable de placer le pourboire comme un outil indicateur de ce domaine. Bien entendu, c’est un outil relativement variable, qui dépend en majorité du personnel de service, et la situation numéro 3 en biaise l’appréciation. Néanmoins, il peut être pertinent d’utiliser le taux de pourboire comme un indicateur complémentaire aux indicateurs habituels d’expérience client tels que le NPS, le CES, le taux de rétention, le taux de churn ou encore les avis et réclamations.

 

Le pourboire vu par les collaborateurs

Les recherches de Léonie Hénaut et Gabriele Pinna (2014) ont relevé que le pourboire est perçu par les salariés comme une évaluation continue de leur performance, structurant leur engagement au travail. Dans l’espoir de recevoir une gratification, ils développent diverses stratégies pour satisfaire les clients : massages du cuir chevelu chez les coiffeuses, flatteries, services personnalisés ou efforts pour trouver des solutions inattendues à l’hôtel. Ces actions, bien qu’orientées vers la satisfaction client, sont aussi pensées comme des moyens de contrôle de l’interaction, ce qui procure une satisfaction personnelle pour les employés. Certains amplifient même leurs efforts pour impressionner les clients, allant jusqu’à embellir et falsifier leur rôle dans certaines tâches.

 

Ils introduisent également une dimension ludique au travail, rendant les tâches moins monotones et plus stimulantes. Par exemple pour des chauffeurs de taxi, l’imprévisibilité des pourboires transforme leur anticipation en jeu. Cette dynamique se retrouve dans d’autres métiers, comme celui de la coiffure, où deviner le montant des pourboires devient un jeu collectif créant complicité et motivation entre collègues. Ainsi, au-delà du gain financier, les pourboires apportent une stimulation intellectuelle et une autonomie aux employés dans leur travail quotidien.

 

En se référant aux besoins identifiés par la pyramide Maslow, le pourboire peut permettre d’apporter un besoin d’appartenance à travers la complicité entre collègues et un besoin d’accomplissement et d’estime aux stimulations intellectuelles et techniques liées aux stratégies d’obtention de pourboire. 

 

Les stratégies de pourboires

Sébastien Fernandez, (2017) recense les techniques d’obtention de pourboire qui ont été testées et se sont avérées efficaces lors d’études. On peut ainsi séparer ces stratégies en deux catégories : la communication verbale et la communication non verbale.

 

Les stratégies de communication verbale jouent un rôle essentiel dans l’augmentation des pourboires. Se présenter par son prénom et répéter la commande des clients (effet perroquet) renforcent la perception d’attention et de compétence. De plus, complimenter les choix des clients, notamment pour les petites tablées, ou utiliser leur nom, crée une atmosphère plus personnelle, favorable à des gratifications financières. Parler dans la langue maternelle des clients augmente également leur satisfaction. Enfin, mentionner des conditions météo favorables génère une ambiance positive, influençant de manière significative la générosité des clients.

 

La communication non verbale est tout aussi déterminante. Par exemple, une fréquence d’interactions régulières et une posture proche des clients (15 cm) favorisent une meilleure relation, tout comme s’accroupir pour être à leur niveau. Offrir un sourire large ou un contact physique discret, comme un toucher sur l’épaule accroit également les pourboires. Enfin, des messages personnalisés sur la facture, tels qu’un « merci » ou des symboles enjoués, laissent une impression positive qui se traduit souvent par une contribution supplémentaire.

 

Ainsi, ces stratégies d’obtention de pourboire ont un vrai impact pour le personnel. C’est pourquoi il est important de le former à ces utilisations tout en étant prêt à réguler toutes formes de comportements excessifs. Il faut savoir adapter son management aux modalités du pourboire.

 

Manager le pourboire et ses nouvelles formes

 

Pourboire et management

Les travaux de Léonie Hénaut et Gabriele Pinna ont aussi révélé que les opportunités financières du pourboire donnent lieu à des dérives managériales de la part de la direction. En effet, ils sont parfois présentés comme un complément pour compenser la faible progression salariale ou l’absence de rémunération des heures supplémentaires. Ils sont également utilisés pour inciter les salariés à offrir un service irréprochable en faisant peser la satisfaction client exclusivement sur leurs épaules. Ce levier managérial impose une forte mobilisation des salariés, qui doivent répondre à toutes les demandes et gérer les clients insatisfaits tout en maintenant une attitude différente.

 

Les pourboires varient significativement en fonction du poste occupé. Les écarts sont expliqués par la proximité avec les clients (front office versus back office), mais aussi par la valeur symbolique des tâches (prestige ou rapport à l’impur). Ces différences engendrent des tensions entre collègues et renforcent les hiérarchies symboliques, notamment lorsque des pourboires doivent être partagés de manière perçue comme inéquitable.

 

Pour limiter les inégalités liées aux pourboires, des règles de collecte et redistribution sont souvent instaurées par la direction. Ces systèmes varient selon la structure de l’organisation. Dans les établissements moins prestigieux, les pourboires sont placés en cagnotte commune, tandis que dans les établissements de luxe, les postes et leurs responsabilités sont plus cloisonnés, ce qui complexifie le partage. Malgré ces règles, certains employés contournent les dispositifs, générant des soupçons et des tensions au sein des équipes.

 

Ainsi, il est très important pour la direction d’adopter une posture exemplaire sur la gestion de ce revenu complémentaire, sans l’utiliser comme un argument pour effectuer une pression sur le personnel. De plus, elle doit faire preuve d’autorité, de confiance et de communication pour limiter tout comportements inappropriés.

 

Le pourboire dématérialisé : opportunités et contraintes

Les méthodes de paiement dématérialisées, par carte bancaire ou directement par téléphone ont entraîné une conséquence : la réduction de la possession de monnaie au quotidien. Cela a impacté la possibilité de laisser un pourboire en liquide. Ainsi, pour faire face à cela, des solutions de pourboires dématérialisés ont été développées et mises en place sur le marché. Pour analyser cette pratique, nous allons nous appuyer sur un article du magazine Sud-Ouest “Le Pourboire dématérialisé, une pratique qui tente de s’imposer” rédigé par Olivier Saint-Fausti.

 

Les pourboires dématérialisés permettent aux clients de laisser une gratification directement via un terminal de paiement (TPE) après avoir réglé leur addition. Lors du paiement par carte bancaire ou téléphone, une option s’affiche pour proposer un montant de pourboire (souvent prérempli ou libre), que le client peut valider ou ignorer. Les pourboires sont automatiquement reversés aux employés et défiscalisés sous certaines conditions. Cependant, les plateformes appliquent des frais (1 % pour Sunday, jusqu’à 8 % pour Tipsi). Une partie des personnels déclarent recevoir au moins 100 € de pourboire par mois via ce système, certains atteignant même 200 €. Bernard, serveur dans un restaurant, estime que cette pratique est motivante : « Si je m’occupe bien des clients, ils seront généreux. »

 

Malgré ses avantages, cette pratique suscite des critiques. Certains restaurateurs, comme un patron interrogé par Sud-Ouest, jugent que cela « rackette le client » et impose une pression inutile. Maud, une cliente bordelaise, raconte avoir ressenti de la culpabilité en voyant le vendeur lui tendre le TPE : « Si je ne donnais rien, j’allais passer pour une radine. »

 

En réaction, certains préfèrent une solution hybride, par exemple lorsque le client ajoute une somme sur son paiement CB (par exemple 5 euros sur une addition de 95 euros), le restaurant retire cette somme de la caisse et la donne directement en liquide au serveur. D’autres restaurateurs choisissent de disposer des QR codes qui permettent de donner un pourboire par virement instantané, en utilisant son téléphone.

 

Parcours client du pourboire dématérialisé

En complément de cet article, nous allons analyser le parcours client et sa psychologie lors du choix d’un don de pourboire. La principale implication managériale du pourboire dématérialisé, c’est qu’il provoque un changement dans ce parcours de paiement. On passe d’un choix délibéré de la part d’un client à un choix proposé par l’établissement, à accepter ou non. Comme le mentionne l’interrogée Maud, la conséquence peut être le sentiment d’une certaine pression.

 

Pour essayer de mieux comprendre le phénomène, voici une représentation schématisée de ce qui se passe dans chacune des situations :

  • Parcours du pourboire par la monnaie
  • Parcours du pourboire digitalisé

 

Ainsi, cette étape imposée, bien qu’elle puisse être refusée, prive le client de toute initiative. Il existe un phénomène psychologique qui se produit lorsqu’une personne a l’impression que quelque chose ou quelqu’un la prive de la liberté de ses choix, c’est le principe de réactance. L’individu déclenche alors une réaction opposée pour rétablir son sentiment de liberté, combinant colère et compréhension des intentions d’autrui. Provoquer la réactance du client peut donc être un facteur d’insatisfaction.

 

L’article du magazine Sud-Ouest indique que le pourboire dématérialisé s’avère être relativement efficace pour les restaurateurs et serveurs. Néanmoins, si l’on suit notre raisonnement, il peut être facteur d’insatisfaction, même léger. Ainsi, privilégier la rentabilité au détriment d’une diminution de l’expérience client implique une décision stratégique à prendre, en fonction du positionnement souhaité.

 

L’article énonce deux solutions alternatives : arrondir le paiement en carte pour donner le pourboire au personnel avec la caisse ainsi que disposer des QR codes pour faire un virement instantané d’un pourboire. Ces deux stratégies garantissent le retour à la liberté de choix, illustrée dans le premier schéma. Pour garantir une bonne utilisation de ces deux techniques, il est préférable de mettre en place un affichage, même léger, afin de suggérer l’idée au client. Néanmoins, l’utilisation d’affiches reste une problématique, car plus il y en a, moins il y aura de chance qu’elles soient lues par les clients.

 

Inclure le pourboire intelligemment dans sa stratégie

Les recherches effectuées et les hypothèses que nous avons formulées nous permettent de dégager une série de recommandations pour un établissement dans la manière de gérer son pourboire.

 

Formation sur les techniques de pourboire

Les employés peuvent être formés aux différentes stratégies d’obtention de pourboire, basées sur la communication verbale et non verbale. Une formation bien structurée permet d’intégrer ces pratiques de manière naturelle et efficace, contribuant ainsi à améliorer l’expérience client tout en augmentant les gratifications. Ces pratiques seront alors sources de motivation, d’accomplissement et de cohésion dans l’établissement. Cette formation peut être incluse dans un module d’intégration à l’entreprise ou alors expliquée de manière informelle lors des premiers jours d’un nouvel arrivant.

 

Répartition du pourboire et transparence.

La répartition des pourboires doit prendre en compte les spécificités de chaque poste, et ainsi assurer un équilibre entre les équipes front office et back office ainsi que selon la valeur symbolique des tâches.

Il est essentiel de ne pas faire du pourboire un sujet tabou au sein de l’entreprise. Une communication claire sur ce mode de répartition aide à instaurer un climat de confiance et d’équité parmi le personnel. La politique de redistribution doit être expliquée dès l’embauche et appliquée de manière ferme pour éviter toute frustration. Le rôle du management est également crucial : une gestion bienveillante et juste favorise une meilleure adhésion aux règles internes sur le pourboire.

 

Le pourboire comme indicateur d’expérience client

Le suivi quotidien des pourboires permet de dégager des tendances sur la satisfaction des clients. En notant les montants globaux reçus par service ou par période, il est possible d’en faire un indicateur complémentaire aux outils traditionnels. Une baisse soudaine des pourboires peut ainsi alerter sur une dégradation de la qualité de service ou un changement de perception de la clientèle.

 

L’utilisation du pourboire dématérialisé

L’utilisation du pourboire dématérialisé est plus complexe à inclure dans la stratégie. Il peut être ajouté de la manière dont nous l’avons analysé. Le risque engendré peut être une baisse de l’expérience client, au profit d’une hausse de l’expérience collaborateur. Des solutions plus prudentes peuvent être envisagées telles que la disposition de QR code pour effectuer un virement immédiat où encore la possibilité d’arrondir un montant, compensé en espèces pour le personnel. Ces deux solutions seront indiquées par un affichage.

 

Pistes de recherches

Les hypothèses développées dans cet article suggèrent différentes pistes de recherche. Dans un premier temps, il peut être pertinent d’analyser plus en détail l’impact des stratégies de pourboire sur l’expérience collaborateur. Notre hypothèse sur le pourboire en tant qu’indicateur d’expérience client est aussi à développer, en le comparant par exemple avec d’autres indicateurs sur la durée, en cherchant une corrélation entre les indices. Enfin, la pratique du pourboire dématérialisé mérite d’être analysée par une étude. Cela permettra d’analyser à la fois son efficacité mais également ses conséquences sur la satisfaction et l’expérience client, tout en la comparant avec les solutions annexes évoquées dans cet article.

 

Références

Sébastien Fernandez. Le pourboire : indicateur de la qualité de service ou reflet de la personnalité des serveurs ? La Revue des Sciences de Gestion, 2016

Léonie Hénaut, Gabriele Pinna. Les métiers à pourboires : des collectifs de travail à l’épreuve d’une évaluation individuelle et continue. Hal Open Science, 2014

Brigitte Auriacombe, Véronique Cova. Le pourboire : ce qu’en pensent les acteurs. Décisions Marketing, 2017.

Quelles sont les nationalités les plus (et les moins…) généreuses en pourboire ? HR-infos, 2024

« Le pourboire dématérialisé, une pratique qui tente de s’imposer », Sud-Ouest, 15 octobre 2024, Olivier Saint-Faustin.